Pour Françoise Verchere le combat NDDL s’arrête là.
"Pour moi le combat NDDL s’arrête là"
par Françoise Verchere
Être Cassandre est fatigant parce que la malédiction divine ( une sombre affaire de jalousie du dieu Apollon que je vous engage à relire) veut qu’elle ne soit jamais crue. Je me souviens comme si c’était hier de ce bureau du Conseil Général où j’ai prévenu Patrick Mareschal et mes collègues de la montée d’une opposition très forte, venue des rangs des gens de gauche, au projet d’aéroport à NDDL. Ils m’ont ri au nez. Je ne m’étais pourtant pas trompée.
Depuis l’annonce de l’abandon de ce mauvais projet, je voyais venir les nuages : notre incapacité à libérer vraiment la route des chicanes malgré les efforts de beaucoup, paysans, zadistes, militants allait donner une bonne raison au gouvernement d’intervenir. La volonté de beaucoup des nouveaux habitants de refuser la proposition de conventions d’occupation précaire individuelles bloquait le dialogue engagé avec la préfecture. Ce refus était fondé sur une revendication de convention collective certes conforme à ce qui se vit sur la ZAD mais moins prioritaire à mes yeux que la « régularisation » donc la sécurisation des lieux les plus emblématiques de la ZAD. Près de trois mois après l’abandon, rien de concret n’était visible aux yeux de l’opinion publique et aux yeux du gouvernement. Le désir de revanche, ou la volonté de montrer que « force revient à l’État de Droit » allait faire le reste.
Le CéDpa que je copréside avec le maire de NDDL et au nom duquel je parle dans les media avait été très clair et unanime depuis son AG du 14 mars et son CA suivant: demande de libération de la route et soutien aux activités agricoles, sociales et culturelles dans le respect des règles avec droit à l’expérimentation. Un collectif d’élus peut-il dire autre chose ? Nous en avons prévenu les autres composantes du mouvement et en tout premier lieu les habitants. Nous avons dit qu’il fallait faire vite, que la date d’intervention annoncée serait vraisemblablement tenue.
Lorsque cette intervention a démarré, nous n’avons donc pas été surpris. Mais comme à chaque fois ou presque qu’on en arrive à l’épreuve de force, tout dérape ; au-delà de la route, les gendarmes détruisent les 100 noms ( erreur ? volonté de faire un exemple ? Je n’en sais rien ). La machine à faire le pire est lancée : tous ceux qui n’auraient pas bougé si l’opération s’était limitée à la route, ce qui en dit long tout de même sur les problèmes réels que tous connaissaient, remontent en soutien, les déclarations pleuvent de ceux qui ne connaissent souvent pas la réalité de la Zad, l’idée de convergence des luttes plane évidemment, et peut-être de grand soir, la violence augmente chaque jour…Un immense gâchis, une semaine de cauchemar.
Il est toujours plus facile d’être manichéen : le monde est plus simple, on pense qu’il y a les bons d’un côté et les méchants de l’autre. La violence réelle subie, y compris par les plus pacifistes, fait oublier la part de responsabilité que porte le mouvement anti-aéroport dans cette situation. La préfète est une traître, le CéDpa aussi sans doute. Eh bien non, ce n’est pas la vérité. Or le travestissement de la vérité, volontairement ou par aveuglement m’est insupportable et ce travestissement est parfois irresponsable. Personne ne peut me suspecter d’être pro-gouvernement ni anti-zadiste. Je suis consciente de la manière dont la répression de tous les mouvements sociaux s’est aggravée depuis plusieurs années, je suis opposée à l’armement dangereux des forces de l’ordre mais je ne veux pas non plus que fassent la loi, sans la loi, certains radicaux de la route des chicanes ou de quelques autres lieux avec qui je défie quiconque de passer une après-midi.
La vérité, c’est que la préfète n’a jamais demandé que les projets soient ficelés, ce qui nécessite effectivement du temps ne serait-ce qu’à cause de la question de la propriété des terres. Elle voulait un lieu, un ou plusieurs noms, un projet. Était-ce vraiment excessif ? On ne peut pas s’appeler Camille jusqu’à la fin des temps me semble-t-il…mais rien n’est venu, sauf deux jours avant les expulsions, une proposition collective sans un seul nom. Les agriculteurs historiques vont eux aussi devoir signer des conventions précaires avant que ne soit réglée la question de la propriété des terres, la Zad va-t-elle leur demander de ne pas le faire au motif qu’il faudrait une convention collective ? J’en doute. Et si c’était le cas obéiraient-ils ? J’en doute encore plus...
La vérité, c’est que la Zad a deux faces, une face lumineuse et une face plus sombre. Les pro-aéroport n’ont montré que la face sombre, en ont fait leur miel pendant des années, certains media aussi. Je me suis exprimée, autant que je l’ai pu, pour parler de sa face lumineuse, des expériences formidables qui y sont nées et qui méritent de continuer. Aujourd’hui, je lis des textes, des prises de position qui occultent les difficultés et oublient la face sombre. Je lis que c’est un combat de fond entre deux agricultures, (voire entre deux mondes), que l’État a menti, que le dialogue engagé était hypocrite etc. Mais enfin regardons la réalité en face et la vérité : en quoi signer des conventions individuelles empêchait-il de poursuivre le non-marché, le maraîchage, l’élevage, la bibliothèque, la conserverie ? La préfète avait entendu le fait qu’il y avait des activités para-agricoles. Tout le monde savait que le combat entre les deux visions de l’agriculture aurait lieu, s’il devait avoir lieu, plus tard sur l’attribution ou la réattribution des terres. On avait du temps à partir du moment où un minimum de lieux étaient sécurisés. Mais le « mouvement » a exigé l’impossible. « Nous sommes les seuls légitimes à nous occuper du territoire » a-t-il clamé, provoquant le retrait immédiat du CéDpa de cette revendication illusoire. En évaluant très mal le rapport de force nouveau né de l’abandon de l’aéroport, et en se figeant dans une posture ne permettant pas la négociation.
La vérité c’est que la délégation de neuf personnes représentant les diverses associations et les zadistes est dépendante d’une assemblée des usages, sorte de parlement de la Zad, dont le fonctionnement aboutit ou à l’impuissance (pour la route par exemple) ou à la radicalité.
La vérité, c’est que des zadistes eux-mêmes n’en peuvent plus des actions négatives de certains de leurs voisins. La vérité c’est qu’il ne fallait jamais le dire au nom de « l’unité du mouvement »...ce que j’écris là ne justifie en rien la violence de la destruction qui est intervenue et n’enlève rien à l’immense peine que nous avons tous de la destruction de certains lieux. Je serais volontiers allée reconstruire avec beaucoup la bergerie des 100 noms mais cette fois pour l’ avenir et pas pour tenir une guerre de tranchée. Cela ne sera pas car je suis désormais « persona non grata » sur la Zad, vient-on de me signifier. J’ai vécu des années sans connaître Notre-Dame-des-Landes et son bocage à qui j’ai beaucoup sacrifié, je pense que je survivrai sans y aller. Et je rêverai simplement aux tritons et aux campagnols en me souvenant que j’ai fait ma part pour les sauver...
Dans mon passé de maire, j’ai eu à régler des histoires d’installations illégales avec des gens du voyage. J’ai été vouée aux gémonies des deux côtés : par les gens du voyage à qui je demandais un minimum de respect des règles, en échange du droit de stationner et des raccordements à l’eau et à l’électricité, et par les sédentaires qui me trouvaient laxiste. Comme si « la juste mesure » était insupportable, alors qu’elle me semble un moyen de vivre ensemble. J’ai un peu l’impression de revivre cette période mais aujourd’hui je suis fatiguée et je ne le supporte plus.
Il est donc temps pour moi de mettre fin à ce combat. Que les donneurs de conseils de tout poil prennent la relève, ils ont l’air d’avoir des idées, certains surtout depuis leur ordinateur ou leur smartphone.
Il est temps aussi de quitter Facebook pour d’autres raisons. Je publie donc ce dernier texte qui vivra sa vie sans moi.
par Françoise Verchere
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