"Lyon-Turin" ne fait pas parti des grands projets inutiles selon la FNAUT
La FNAUT Pays de la Loire, de part ses actions, est membre d'un certain nombre de Collectif., elle participe également à des actions communes avec d'autres associations. C'est le cas avec l'ACIPA, dont elle partage de nombreux points de vue mais la FNAUT conserve son identité et ses propres positionnements.
L'ACIPA a publié un communiqué de Presse fin mars sur la convergence des luttes avec d'autres grands équipements, entre autre avec le projet de Lyon -Turin.
Adhérent à l'ACIPA, et membre de la FNAUT, Aurélien Djament a réagi au communiqué de presse du 21 mars 2013. Réponse trés étayée, nous publions son texte car le bureau de l'association n'aurait pas mieux fait.
Communiqué de presse de l’ACIPA – 21 mars 2013
"L'ACIPA salue et soutient la détermination de l'opposition française et italienne à la ligne LGV Lyon Turin, à l'occasion de la journée de manifestation du 23 mars.
L'ACIPA constate :
1) que, pour la 'justification' de ce grand projet, les prévisions fantaisistes établies depuis plus de 20 ans se sont révélées fausses bien avant la crise de 2008,
2) que la ligne ferroviaire existante permet aujourd'hui de transporter plus de 80% des marchandises transportées sur la route et les trains de voyageurs existant entre France et Italie,
3) que, comme le constate Dominique Dord, député UMP anciennement partisan du projet, «sur longue distance, le transport maritime est l’alternative naturelle à Vintimille», et propose la mise en place, non pas du Lyon-Turin, mais d’une autoroute de la mer beaucoup plus écologique avec des navettes au départ de Barcelone ou de Valence vers les ports de l’Italie dès 2020,
4) que les chambres de commerce et d'industrie de la région PACA demandent des travaux sur les lignes existantes de chemin de fer plutôt que de continuer sur un projet de ligne à grande vitesse incertain et très coûteux,
5) que, alors que des soupçons de conflits d’intérêts pèsent sur ce dossier, le chantier de la ligne à grande vitesse de Firenze (Florence) a été arrêté par la justice italienne pour de probables faits de corruption et détournements en lien avec la mafia.
Besoins sur-estimés, saturation inexistante, existence de solutions alternatives, questionnement sur les financements... Nos combats contre les grands Projets Inutiles Imposés se ressemblent, se soutiennent mutuellement, dans la démarche que nous avons engagée depuis plus de deux ans.
A l'occasion de la journée du 23 mars, l'ACIPA est solidaire de la demande de l’arrêt immédiat des travaux du tunnel de la ligne Lyon-Turin."
Si je suis naturellement d'accord que les grands projets inutiles ne manquent pas, même en période d'austérité, et qu'il convient de développer des convergences contre ceux-ci, je conteste fortement l'inscription du TGV Lyon-Turin parmi ceux-ci. De surcroît, même si je respecte la position des adhérents de l'ACIPA hostiles à ce projet, je suis choqué de la fixation sur cette ligne ferroviaire comme "projet inutile", alors que l'ACIPA ne dit rien, ou pas grand-chose, des nombreux projets autoroutiers ou apparentés. Avant d'expliquer succinctement ma position, je précise que l'absence de dialogue et la répression envers les opposants au Lyon-Turin sont inacceptables, quelle que soit la position personnelle de chacun à l'égard de ce projet : elles ne témoignent que de la faiblesse du gouvernement, de son arrogance et son mépris de la démocratie (en continuité avec les gouvernements précédents). Sur ce point, l'ACIPA a raison de souligner les convergences avec NDDL et de dénoncer cette méthode du passage en force. Mais au-delà de la méthode, si l'on examine le contenu et les implications des projets d'aéroport à NDDL et de ligne à grande vitesse Lyon-Turin, la comparaison est loin de s'avérer aussi évidente que cela.
1) Il est écrit que "la ligne ferroviaire existante permet aujourd'hui de transporter plus de 80% des marchandises transportées sur la route et les trains de voyageurs existant entre France et Italie". Admettons, mais cet argument n'envisage aucun accroissement notable du trafic ferroviaire pour les voyageurs. Pourtant, le service actuel est très déficient, avec par exemple aucune liaison ferrée directe entre Lyon et Turin ! Résultat, des déplacements massifs par voies aérienne ou routière sur cet axe. Je pense que je n'aurai besoin de convaincre personne à l'ACIPA sur les gains environnementaux énormes engendrés par un report de trafic routier ou aérien sur la voie ferrée... c'est justement l'un de nos arguments contre NDDL (qui, s'il se réalise, induira également un accroissement du trafic routier : les groupes de pression routier et aérien marchent objectivement main dans la main).
Avec un trafic de passagers digne de ce nom, c'est-à-dire avec des dessertes omnibus fréquentes et des dessertes sur longues distances variées et assez rapides, permettant de vraiment concurrencer l'avion (et la voiture), les vitesses fort différentes de ces deux types de train (qui ne peuvent pas se dépasser sur la ligne actuelle, alors que la LGV éviterait le conflit de circulation entre trains rapides l'empruntant et trains de proximité sur la ligne existante) réduiraient largement les possibilités pour les trains de fret (qui circulent beaucoup plus lentement que les trains de voyageurs, surtout sur cette ligne de montagne dont les fortes rampes handicapent beaucoup le transport des longs trains de marchandises, extrêmement lourds) et rend l'argument des 80% de report de fret routier possible sur le fret ferroviaire totalement inopérant. De toute façon, le projet de LGV Lyon-Turin a toujours été conçu comme un projet mixte voyageurs/fret, ne considérer qu'un seul des deux aspects fausse complètement la discussion.
2) L'argument du transport maritime comme meilleure alternative me laisse particulièrement sceptique. D'une part, rien ne démontre qu'une autoroute de la mer soit "beaucoup plus écologique" que le transport ferroviaire. D'autre part, le report de la route sur la voie maritime pour certains flux de marchandises est possible et souhaitable, mais l'intérêt du Lyon-Turin est de se connecter à l'autoroute ferroviaire ralliant le nord de la France puis le Benelux, pour lesquels le passage par Vintimille n'est pas pertinent (surtout que l'axe de la vallée du Rhône est saturé) ! De plus, le transport maritime est beaucoup plus lent que le transport ferroviaire, ce qui limite les marchandises pour lesquelles il peut constituer une alternative performante au transport routier, et surtout nécessite un transbordement (qui prend du temps et est coûteux) aux ports de départ et d'arrivée, alors que la voie ferrée peut irriguer bien davantage le territoire.
De plus, étant donnée la part écrasante des camions dans le transport des marchandises, pour un vrai changement écologique de politique de transport, il s'impose de développer à la fois les autoroutes maritimes et les voies de chemin de fer, ce ne serait pas de trop !
3) Il est question de "solutions alternatives" : au vu des arguments que j'ai esquissés plus haut, je me demande si la principale solution des opposants au Lyon-Turin n'est pas simplement de continuer comme aujourd'hui. Certes, ce n'est pas impossible, mais il faut en voir le coût écologique gigantesque, les montagnes françaises étant totalement asphyxiées de trafic routier (particulièrement gourmand en carburant en raison des pentes, avec une pollution qui stagne souvent dans les vallées). C'est bien la grande différence avec NDDL : dans les deux cas, bien sûr, on peut poursuivre avec l'existant sans que tout s'arrête. Mais dans le cas de l'aéroport, continuer avec Nantes-Atlantique évitera ou limitera le développement des trafics aérien et routier alors que, sur l'axe Lyon-Turin, c'est continuer avec les infrastructures existantes qui signifie accepter que les camions transportent une part écrasante des marchandises et que les transports de passagers soient effectuées essentiellement en voiture ou en avion plutôt qu'en train. Est-ce qu'on veut ?
4) Il est question de moderniser les lignes existantes plutôt que de créer de nouvelles lignes. Je suis bien d'accord que la priorité du développement ferroviaire en France réside effectivement dans cette modernisation (et la réouverture des lignes "secondaires" fermées), mais cela ne signifie pas que les autres projets n'aient aucune pertinence, dans un second temps ou en complément, ne serait-ce que pour éviter des problèmes de capacité que la seule modernisation des voies existantes ne peut pas toujours résoudre.
Enfin, je voudrais terminer ce courriel par quelques arguments pour convaincre que même les opposants à NDDL qui sont hostiles au TGV Lyon-Turin ne devraient pas en faire le symbole des autres projets inutiles.
5) Si vraiment l'ACIPA cherche un exemple de LGV inutile et nuisible, il y en a un, sur lesquels tous les défenseurs du rail ou presque s'entendront, contrairement au Lyon-Turin (inutile de nous diviser sur des projets qui sont loin de Notre-Dame des Landes !) : la ligne envisagée entre Poitiers et Limoges. Effectuer le trajet Paris-Limoges en passant par Tours et Poitiers est un non-sens géographique évident, pour le trajet Poitiers-Limoges, qui n'est en rien un grand axe de transit comme l'est Lyon-Turin, la modernisation de la voie existante (dont les potentialités sont bien meilleures en terme de profil que Lyon-Turin) suffit sans aucun conteste. En revanche, pour aller de Paris à Limoges, assécher la ligne historique, conforme à la géographie, passant par Orléans et Vierzon constituerait une aberration pour l'aménagement du territoire - et même pour le seul trajet Paris-Limoges. Pourquoi alors se focaliser sur la LGV Lyon-Turin ?
6) Surtout, je trouve assez incroyable quand on défend un point de vue écologiste dans la politique de transports de ne pas dire haut et fort que la priorité des priorités est de cesser de construire des autoroutes ! Là, la liste est très simple : elles sont toutes inutiles et nuisibles, et il y en a déjà beaucoup trop en France - environ 10000 km, bien plus que de lignes ferroviaires à grande vitesse - et une LGV consomme environ deux fois moins d'espace qu'une autoroute, sans parler du gain énergétique (et en terme de sécurité) considérable. L'une des principales calamités écologiques en France est l'hypertrophie du transport routier, responsable annuellement, faut-il le rappeler, de milliers de morts (et de bien plus de blessés) directs par accident, de dizaines de milliers de morts par la pollution induite, et d'une destruction à grande vitesse de terres agricoles ou naturelles. Sur tous ces points, le rail est considérablement supérieur, et c'est le seul mode de transport à pouvoir concurrencer sérieusement la route (et l'aviation dans une large mesure). La portion congrue à laquelle le transport par voie ferrée est réduite ne vient pas d'une inadaptation mais d'une politique planifiée sur des décennies : depuis les années 20-30 (apogée du réseau ferrée en France), le réseau ferré a régressé - même en tenant compte des ouvertures de lignes à grande vitesse (ou autres, quasi-marginales de toute façon), de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres ; parmi les lignes qui ont survécu, une part considérable a été laissée quasiment à l'abandon. Pendant ce temps, l'argent n'a cessé de couler à flots pour construire partout des autoroutes, des voies rapides, des périphériques autour de toutes les grandes villes, élargir les routes existantes... aboutissant à la triste situation actuelle en matière de transports et de destruction de terres. Dans ce contexte, comment peut-on en se réclamant de l'écologie demander l'arrêt du projet ferroviaire Lyon-Turin sans même commencer par exiger l'abandon immédiat de tous les projets autoroutiers ?
7) Pour prendre un exemple concret près de chez nous : le projet d'autoroute A831 en Vendée, qui tronçonnerait le marais poitevin, pendant que la ligne ferroviaire Nantes-Bordeaux continue de se dégrader - notamment dans la portion vendéenne en concurrence directe de laquelle cette autoroute s'inscrirait ! Je suggère donc aux dirigeants de l'ACIPA de faire figurer, derrière l'Ayrault-port bien sûr, en haut du palmarès régional des projets inutiles de notre région, cette autoroute. La proximité géographique rend la convergence des actions contre ces deux projets nocifs d'autant plus naturelle que l'un des points de la contre-argumentation est commun : la modernisation de la ligne ferroviaire Nantes/Bordeaux, axe majeur du littoral français, pour limiter les trafics routier et aérien, avec un coût financier bien inférieur aux projets mégalomanes de nos gouvernants, aucune nouvelle artificialisation de terre, gains en termes de sécurité et de pollution... Cela éviterait de diviser l'ACIPA sur le projet lointain et non consensuel parmi les défenseurs d'une politique de transports écologique qu'est la LGV Lyon-Turin. Bref, nous y gagnerions concrètement dans notre combat.
Bien cordialement,
Aurélien Djament.