Grandes lignes corail : des liaisons nécessaires
De nombreuses liaisons ferroviaires interrégionales – transversales telles que Lyon-Nantes ou radiales telles que Paris-Bâle – sont menacées à court terme d’une nouvelle régression, voire d’une disparition pure et simple (Caen-Tours), la SNCF refusant d’en supporter seule le déficit d’exploitation (124 millions d’euros par an pour 25 lignes), l’Etat et les régions refusant de s’engager.
La SNCF fait valoir que l’exploitation du réseau TGV ne lui permet plus de soutenir ces liaisons en raison de la forte augmentation des péages qu’elle doit verser à RFF, et que des bénéfices lui sont indispensables pour pouvoir autofinancer la modernisation de ses gares et le renouvellement de son matériel roulant. L’Etat estime que ces liaisons n’ont pas de caractère national alors qu’en reliant entre elles des agglomérations importantes et en irriguant de nombreuses villes moyennes, elles ont un rôle décisif à jouer pour un aménagement harmonieux du territoire. Enfin les régions considèrent que leurs moyens financiers limités doivent aller en priorité aux liaisons régionales dont elles sont devenues autorités organisatrices.
Curieusement aucun des trois acteurs ne s’interroge sur l’origine du déficit des liaisons interrégionales, c’est pourtant par là qu’il fallait commencer.
- La SNCF a sa part de responsabilité. Depuis l’introduction très réussie des turbotrains sur les lignes Lyon-Nantes/Bordeaux/Strasbourg au début des années 70, elle n’a pris aucune initiative technique ou commerciale pour attirer la clientèle. Et, depuis plus de dix ans, elle a laissé se dégrader la qualité des services, qu’il s’agisse de l’information, du confort, des fréquences, des correspondances ou de la restauration : dès qu’elle le peut, elle privilégie même le report de la clientèle sur le TGV, quitte à occulter son offre sur les lignes classiques et à imposer aux voyageurs des détours longs en kilomètres donc coûteux.
- Mais la SNCF, sans cesse poussée par l’Etat à rechercher des économies à court terme, n’a pas disposé des moyens financiers nécessaires pour maintenir et développer son offre. Les performances des infrastructures se sont dégradées, faute d’entretien, sur la majorité des lignes à trafic moyen ou faible (soit les deux-tiers du réseau national), obligeant la SNCF à réduire la vitesse de ses trains et à supprimer des arrêts intermédiaires pour ne pas trop augmenter les temps de parcours de bout en bout. Le matériel roulant a vieilli : sur Nantes-Bordeaux, les voitures ont 25 ans d’âge moyen et les locomotives 35. Des points de croisement ont été supprimés sur les lignes à voie unique. Les coûts d’exploitation ont augmenté et la régression du trafic de fret a reporté tous les frais fixes sur le seul trafic voyageurs.
- L’Etat a par ailleurs vigoureusement favorisé la concurrence routière et aérienne en renforçant le maillage routier (recalibrages, déviations) et autoroutier du territoire et en soutenant de nombreuses liaisons aériennes déficitaires alors que le rail était handicapé par le sous-investissement.
- Enfin si les régions ont efficacement pris en charge les liaisons régionales, elles se sont, sauf exception, désintéressées des liaisons interrégionales à longue distance. Faute de coopération entre régions voisines, certaines lignes ont été fragilisées par le tronçonnage de liaisons de bout en bout dites « de cabotage ». Et les régions, de concert avec les départements, accompagnent les efforts de l’Etat en faveur de la route et de l’avion sans se préoccuper des conséquences sur le rail : l’autoroute A 65 Bordeaux-Pau coûtera 1 milliard d’euros, elle sera financée à 25% par l’Etat et 25% par l’Aquitaine et les départements.
La menace de nouvelles suppressions de services par la SNCF, avec l’aval implicite de l’Etat, doit inciter à repenser en profondeur l’offre ferroviaire interrégionale, sa gestion et son financement.
- Les lignes interrégionales françaises, handicapées par la démographie, un tracé sinueux et parfois le relief, répondent essentiellement à des besoins d’aménagement du territoire et relèvent donc du service public. A ce titre, elles auraient dû bénéficier depuis longtemps d’une intervention financière spécifique de l’Etat et des régions, tant pour l’investissement que pour l’exploitation.
- Il ne s’agit cependant pas de maintenir en l’état des services coûteux, inadaptés aux besoins des voyageurs et parfois peu fréquentés. RFF et la SNCF doivent présenter un plan ambitieux de valorisation des infrastructures interrégionales existantes, de modernisation du matériel roulant et de développement de l’offre, en concertation avec les élus régionaux et les représentants des usagers.
- L’Etat, sauf à renier tous ses discours sur le service public, l’aménagement du territoire, l’environnement, le développement durable, … ne peut rester indifférent à l’avenir du rail sur les itinéraires interrégionaux : il n’est pas acceptable que de nombreuses villes moyennes ne soient plus desservies que par des trains régionaux alors qu’elles sont presque toutes, aujourd’hui, situées à proximité d’un axe autoroutier.
- Enfin les régions ne peuvent écarter dogmatiquement tout engagement financier. Elles se disent prêtes à accepter un rôle d’autorité organisatrice des dessertes interrégionales, c’est un point très positif. Mais on comprendrait mal qu’elles refusent d’en partager le coût avec l’Etat et la SNCF alors qu’elles n’hésitent pas, de la Basse-Normandie à l’Aquitaine, à financer de très importants travaux routiers, concurrents directs du rail, bien que la loi ne leur ait confié aucune responsabilité en ce domaine.