Le gouvernement à ne doit pas sacrifier les « petites » lignes sur l’autel de la réforme de la SNCF.
« Réserver le ferroviaire aux seules grandes villes ne ferait que créer de nouveaux territoires abandonnés de la République »
TRIBUNE
PAR COLLECTIF
Le 14 mars 2018
Un collectif d’associations d’usagers, de syndicats de cheminots et d’élus locaux appelle, dans une tribune au « Monde », le gouvernement à ne pas sacrifier les « petites » lignes sur l’autel de la réforme de la SNCF.
Tribune. Il n’y a pas plus de « petites lignes » que de petits territoires. Les lignes ferroviaires de proximité, comme les autres, sont une réponse évidente aux besoins de mobilité et à la pollution grandissante. L’Etat, avec les collectivités, doit les entretenir et les redynamiser. Pourtant, le manque d’investissements dans la régénération du réseau ferroviaire menace aujourd’hui de fermeture environ 9 000 km de lignes, dites « petites ». Comment ce terme aussi méprisant a-t-il pu s’imposer ? La Creuse est-elle un « petit » territoire ? Un seul exemple : la gare de Veynes (Hautes-Alpes), cœur de l’étoile ferroviaire du même nom, voit circuler vingt-neuf trains par jour. Est-ce « petit » ? Et l’une de ses branches, la ligne Grenoble - Gap, compte un millier de voyageurs quotidiens.
AU TOTAL, CENT TRENTE ET UNE LIGNES SONT SUR LA SELLETTE
Mais la SNCF a l’art d’accuser son chien d’avoir la rage : dans sa communication habituelle, elle avançait un chiffre de moitié inférieur. Résultat, cette ligne est désormais menacée de fermeture à court terme. Au total, cent trente et une lignes sont sur la sellette. Si elles ne sont pas les plus fréquentées – personne ne le conteste –, ces lignes, le plus souvent rurales mais parfois urbaines, sont des lignes de proximité, tout simplement.
Le gouvernement est grand prince : « On ne décide pas de la fermeture de 9 000 km de lignes depuis Paris. »Même le rapport Spinetta ne le préconisait pas ; alors, pourquoi s’en défend-il ? Dans les faits, l’équation est simple. L’Etat assure que les engagements déjà pris, à hauteur de 1,5 milliard d’euros dans le cadre des contrats de plan Etat-région (CPER), « seront tenus ». Mais comme la ministre des transports, Elisabeth Borne, l’a reconnu devant le Sénat, « il apparaît aujourd’hui clairement que cette somme ne sera pas suffisante ». Dès lors, il ne reste plus au gouvernement qu’à transmettre la patate chaude aux régions.
Le credo de la ministre
En octobre 2017, donc bien avant le rapport Spinetta, la ministre des transports était déjà très explicite à propos des lignes de proximité : « Il appartient aux collectivités territoriales et notamment aux régions (…)d’identifier les réponses les plus pertinentes. » En clair : bon débarras et à vous de jouer ! En outre, les actuels CPER se terminent en 2020 et les négociations pour les prochains ne vont plus tarder. L’Etat continuera-t-il d’investir dans les lignes de proximité, comme il l’a fait sous les derniers gouvernements, de gauche comme de droite ?
QUAND UN TRAIN EST REMPLACÉ PAR UN CAR, ENVIRON 30 % DES VOYAGEURS REPRENNENT LEUR VOITURE INDIVIDUELLE
Le credo de la ministre est de« maintenir une accessibilité dans ces territoires, quel qu’en soit le mode ». Mais, au bout du compte, c’est le car et le bitume pour toutes et tous qui se profilent. Tant pis pour les personnes âgées, handicapées ou ceux qui souhaitent transporter leur vélo ou travailler en route : impossible dans les cars. L’existence et la fréquence des trains sont aussi l’un des critères de choix de destination pour les touristes des grandes métropoles, qui choisissent de plus en plus de ne pas posséder de voiture. D’après plusieurs études concordantes, quand un train est remplacé par un car, environ 30 % des voyageurs reprennent leur voiture individuelle.
Les conséquences, chacun les connaît : la pollution, les accidents et leur cortège de morts, la dégradation accélérée du réseau routier (payé par l’ensemble des contribuables), le poids en constante progression du budget automobile dans le budget général des ménages ruraux. Au total, réserver le ferroviaire aux seules grandes villes ne ferait que créer de nouveaux territoires abandonnés de la République.
Patrimoine magnifique
Les lignes de train ne sont pas des lignes comptables. A-t-on jamais demandé à une route départementale d’être rentable ? Plutôt qu’un abandon fondé sur des calculs de rentabilité économique à court terme, nous avons besoin aujourd’hui d’une politique de rénovation et d’innovation pour redéployer un service public et répondre aux impératifs écologiques. L’Etat ne doit pas se contenter d’un engagement financier dans la rénovation du réseau principal, il doit participer à la régénération des lignes régionales ou interrégionales. Elles sont un patrimoine (souvent magnifique) qu’il nous appartient d’entretenir et de redynamiser pour les générations futures.
LA VOIE EMPRUNTÉE PAR LE GOUVERNEMENT NE PERMETTRA PAS DE RESTAURER UN SERVICE PUBLIC FERROVIAIRE DE QUALITÉ
Rappelons qu’en moyenne, un déplacement en train émet au moins dix fois moins de CO2 que le même trajet en voiture, et jusqu’à cinquante fois moins que l’avion. A l’heure du réchauffement climatique et des grands discours sur l’écologie, à l’heure où les besoins de mobilité sont énormes, il constitue une solution évidente. C’est pourquoi l’Etat, avec les collectivités concernées, doit rénover les lignes de proximité et favoriser le développement de l’offre et des services (intermodalité, transport des vélos) pour reconquérir les flux de voyageurs et de marchandises ; redévelopper les trains classiques de jour et de nuit, avec des liaisons transversales, régionales et internationales fiables et fréquentes, couvrant l’ensemble du territoire ; décider d’une véritable fiscalité écologique pour remettre les camions sur les rails et rendre le train attractif face à la route et l’avion.
Beaucoup d’entre nous seront présents à la manifestation du 22 mars. Tous, nous sommes persuadés que la voie empruntée par le gouvernement ne permettra pas de restaurer un service public ferroviaire de qualité. Nous appelons les voyageurs, les cheminots, les collectivités, les élus, les associations et toutes les personnes attachées au train à constituer un collectif pour obtenir la redynamisation des lignes de proximité, qui sont, pour nous, des lignes de vie.
Les signataires de la tribune :
Collectifs de défense des lignes de proximité (Alternatiba Paris, Amis du rail azuréen, Association d’usagers de la ligne Perpignan-Cerbère-Portbou, Collectif de défense et de modernisation de la ligne ferroviaire Alès-Bessèges, Association de promotion de la ligne Morlaix-Roscoff, Association de promotion de la ligne Nantes-La Rochelle-Bordeaux, Association des élus pour la défense de la ligne des Cévennes, Association des usagers des TER dans le Gard et les départements limitrophes, Association des usagers des transports - Aisne Nord, Association des voyageurs du TER Metz-Luxembourg, Association pour la défense de la gare d’Assier, et pour la promotion du rail
Association TER Brest-Quimper, Collectif citoyen de défense de la gare de Villefort, Collectif de coordination pour la défense de la ligne SNCF Agen-Périgueux-Paris, Collectif de défense des axes sud Normandie, Collectif de l’étoile ferroviaire de Veynes, Collectif des usagers des transports du Haut-Allier, Collectif des usagers des transports ferroviaires du sud du Massif central, Collectif des usagers des transports publics en Sud-Ardèche, Collectif non LGV Poitiers-Limoges Oui au POLT (Paris-Orléans-Limoges-Toulouse), Collectif Oui au train de nuit, Collectif pour la réouverture de la rive droite du Rhône aux trains de voyageurs, Collectif train lozérien, Collectif Tuck (Toulouse), Comité de défense et de développement du rail du Bassin montluçonnais et du Val de Cher, Comité de sauvegarde et de développement des lignes ferroviaires du Tréport - Mers, Périgord Rail Plus, Rallumons l’étoile (Toulouse), Tarsly-Fnaut promotion rail, Tous ensemble pour les gares, Usagers du TER Metz-Luxembourg),
Syndicats de cheminots (CFDT Cheminots, CGT des cheminots - secteur Alpes, Fédération des syndicats Sud rail)
et élus locaux (Julien Bayou, conseiller régional d’Île-de-France, Esther Benbassa, sénatrice de Paris, Vanik Berberian, président de l’Association des maires ruraux de France, Christophe Bouillon, député de Seine Maritime, Guy Bricout, député du Nord, David Cormand, secrétaire national d’EELV, Jérôme Fauconnier, président de la Communauté de communes du Trièves (Isère), Joël Giraud, député des Hautes-Alpes, Guillaume Gontard, sénateur de l’Isère, Joël Labbé, sénateur du Morbihan, Guy Malaval, maire de Langogne, Patrick Malavieille, conseiller départemental du Gard, Yann Mongaburu, président du syndicat mixte des transports en commun de l’agglomération grenobloise, Pierre Morel À-L’Huissier, député de la Lozère, Corinne Morel-Darleux, conseillère régionale Auvergne-Rhône-Alpes, Patricia Morhet-Richaud, sénatrice des Hautes-Alpes, Marie-Laure Mugnier, conseillère départementale de Haute-Loire, Nathalie Perrin-Gilbert, maire du 1er arrondissement de Lyon, Alice Prud’homme, conseillère municipale de l’Argentière-la-Bessée (Hautes-Alpes), Frédérique Puissat, sénatrice de l’Isère, Sandra Regol, secrétaire nationale adjointe d’EELV, Marie-Thérèse Roubaud, maire de Langeac (Haute-Loire), Rémi Roux, conseiller municipal de l’Argentière-la-Bessée (Hautes-Alpes), Martial Saddier, député de Haute-Savoie, Bénédicte Taurine, députée de l’Ariège, Benjamin Trocmé, conseiller départemental de l’Isère).